Deux romans de Jacques Chessex
Venant de lire successivement deux romans de Jacques Chessex : Le Vampire de Ropraz (2007) et Un Juif pour l’exemple (2009), je suis tentée par une mise en parallèle. Voilà deux récits d’une brièveté dense et puissante, fondés l’un et l’autre sur des faits-divers atroces et authentiques. Des similitudes géographiques : « les lieux sont beaux, d’une intensité presque surnaturelle », magnifiquement évoqués par ce grand connaisseur du plateau Vaudois.
Dans le premier roman, un « vampire » cristallise les plus anciennes superstitions et le désir de vengeance de « ce pays de loups » à l’affût d’un coupable à châtier.
Dans le second, un groupuscule Nazi dont la haine raciste est attisée par le fanatisme du pasteur Philippe Lugrin, à la recherche d’un bouc-émissaire : « le Juif pour l’exemple », effet là encore de cristallisation de haine : ici, l’antisémitisme.
Deux récits de barbarie, mais d’une radicale différence de degré dans le mal. Le monstre, le « vampire », nécrophage, nécrophile, zoophile, d’une ignoble sauvagerie, suscite l’horreur , l’épouvante et le désir de vengeance : Favez, la misérable brute, fait un coupable idéal ; mais ce coupable –à supposé qu’il le soit – peut renaître à l’humanité, et l’auteur nous suggère même un stupéfiant retournement : comment le plus honni devient le plus honoré…Par contre, avec l’abject assassinat à Payerne du juif bernois Arthur Bloch, on touche « le mal absolu à jamais sans transaction » et Jacques Chessex, pour parler de ce crime historique et politique, fait référence à Vladimir Jankélévitch : « l’imprescriptible, ce qui ne se pardonne pas. Ce qui ne sera jamais payé. Ni oublié. Ni prescrit ». Voilà la différence radicale : ici, « aucun rachat d’aucune espèce ».
Deux histoires qui empoisonnent la mémoire ; pour se libérer du passé, Jacques Chessex l’affronte.
Jacques Chessex, écrivain de Suisse Romande, est né à Payerne en 1934. Professeur de Lettres à Lausanne, il est l’auteur de 28 recueils de poésie publiés de 1954 à 2008, de nombreux romans, chroniques et critiques littéraires, de quelques ouvrages pour enfants et de deux recueils de nouvelles :Le séjour des morts (1977) et Où vont mourir les oiseaux(1980).
Michèle M.
Crédit photo : Electre.