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7 août 2010

Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas...

      quaiouistreham      Florence Aubenas a rendu au journalisme d’investigation ses lettres de noblesse avec ce témoignage, bien loin du bling bling et d’un certain parfum de scandale : « J’ai décidé de partir dans une ville française où je n’ai aucune attache pour chercher anonymement du travail. (…)

   Caen m’a semblé la cité idéale : ni trop au nord ni trop au sud, ni trop petite, ni trop grande. (…)

   J’ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers, mais je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. (…)

   Les noms des personnes et des entreprises ont été volontairement modifiés. » (Avant-propos.)

            Elle trace un portrait juste mais sans atermoiement de cet univers où elle va vivre pendant près de six mois : de février à juillet 2009. Elle arrêtera son en(quête) quand elle aura trouvé un CDI : « Les conditions sont miraculeuses pour le secteur : un contrat de 5 h 30 à 8 heures le matin, payées au tarif de la convention collective, 8,94 euros brut de l’heure. »

Bienvenue dans la France profonde, tel pourrait être le sous-titre de ce livre. J’en ai retenu quelques aspects qui m’ont particulièrement marquée.

Il n’est pas difficile de perdre l’estime de soi face au regard et aux paroles des autres qui n’ont même plus conscience de parler à un individu, comme cet employé d’une agence d’intérim désireux de lui faire comprendre qu’elle n’a aucune chance d’avoir une quelconque proposition : « Je le vois chercher un mot qui, sans être blessant serait tout de même réaliste. Il a trouvé et fait un grand sourire : « Vous êtes plutôt le fond de la casserole, madame. » C’est dit sans méchanceté, avec bonhomie. ».

Point n’est besoin de posséder la cape d’invisibilité d’ Harry Potter pour disparaître aux yeux du monde.  Devenue femme de ménage, elle aura la surprise de voir un couple se livrer à leurs ébats devant elle : « Je n’étais plus pour eux qu’un simple prolongement de l’aspirateur. ». C’est exactement comme on traitait les esclaves : je vous renvoie à la superbe biographie de Barbara Chase-Riboud. sur la maîtresse noire de T Jefferson : « La Virginienne ».

N’oublions pas les conditions de travail : multiplicité des contrats, locaux parfois répugnants, impossibilité de faire le travail dans le temps imparti, périodes d’essai non rétribuées, paiement en dessous du SMIC,  douleurs musculaires, tâches qui s’enchaînent au cours de la journée dans différents lieux, ordres absurdes du patron qu’il ne faut surtout pas discuter, pugilat avec d’autres employés à l’occasion…

On remonte le temps pour retrouver cette France d’avant les congés payés où seuls quelques privilégiés vont à la plage.

Néanmoins, dans ce quotidien impitoyable, l’humour peut faire son apparition, ainsi à propos de la machine à laver le sol : « La monobrosse, on l’appelle

la Bête

, parce qu’elle fait peur à tout le monde. (…) Un des deux hommes, Maurice, s’est levé précipitamment pour saisir sa chaise par le dossier et s’en servir à la façon d’un bouclier, comme si

la Bête

l’avait personnellement repéré et s’apprêtait à le charger. ».

Florence Aubenas sait rendre attachantes certaines personnes rencontrées (surtout des femmes) : Victoria, la syndicaliste retraitée, qui a découvert qu’être femme (et qui plus est de ménage) n’est pas un atout, même au niveau syndical ; la jeune Marilou qui rêve d’un avenir meilleur, Françoise qui « a dû être cow-boy dans une vie antérieure », Mimi, la reine du ferry, Marguerite qui veille gentiment sur Florence pour qu’elle fasse bien son travail.

Un livre à offrir à toutes nos femmes et tous nos hommes politiques, en espérant que cela ne reste pas une simple lecture d’été, car comme le rappelle Florence Aubenas, certaines régions connaissent une sévère crise économique, depuis le premier choc pétrolier, c’est-à-dire plus de trente ans.

Sylvie Lorre.

Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas, Editions de l’Olivier, 2010, 274 p.

Crédit photo : Electre.

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