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7 juin 2011

Le japon dans ma chambre... par Dany Laferrière, romancier

Que faisais-tudanylaferriere

quand la terre a tremblé

au Japon?

J’étais dans ma chambre

à ne rien faire.

Tout semblait enfin si calme autour de moi.

Soudain les éléments déchaînés

à l’autre bout du monde :

l’eau, le feu, la terre et l’air radioactif.

Ne manque que le vent pour emporter

ces îles ailleurs.

Les petits avions flottant.

Les camions poids lourds qui tanguent.

On dirait des mégots

dans un cendrier rempli d’eau sale.

Un paysage noyé effraie

mais n’émeut pas.

Seule la mort d’un être humain

parvient vraiment à toucher le cœur d’un autre.

Cette jeune fille drapée de jaune

que des photographes insouciants ont changée

en mater dolorosa

est devenue l’arbre qui cache le paysage dévasté

et les corps gonflés d’eau.

J’entends murmurer mon vieux maître Bashô :

«Regarde, regarde,

les vraies fleurs

de ce monde de souffrance.»

Qui, parmi nous, peut

ressentir une si insoutenable douceur ?

Est-on obligé de pleurer

quand celui qui vit le drame

fait ce qu’il peut

pour ne pas perdre la face ?

Le Japon garde tout

au plus profond de lui-même.

Gare à l’implosion.

Ces images sautillantes captées

par les caméras de sécurité installées

dans les immeubles de la ville

sont gorgées d’émotion.

Tétanisé par ces images qui montrent

les gens se dépêchant de quitter le bureau.

Rien de ce genre pour Port-au-Prince.

Les cameras sont arrivées après.

On ignore de quoi on a eu l’air pendant.

Encore absorbé par la douleur

quand un flash l’aveugle.

C’est pourtant son moment de gloire.

Et cette menace constante :

«Le bilan des morts risque

de s’alourdir.»

Pourquoi ne compte-t-on jamais les vivants ?

Au kiosque de la gare

je vois le mot Japon

dans toutes les langues

sauf en japonais.

Les hebdomadaires ou mensuels

qui ne parlent pas encore du Japon

ressemblent à ces vieux magazines qui traînent

chez le dentiste d’une bourgade de l’Idaho

et racontent une Amérique d’avant le Watergate.

A la télé on ne quitte plus le présent.

Même les reportages qu’on a vus trente fois

sont présentés comme du direct.

Cet officiel à bout de nerfs

tente de temporiser les secouristes

qui piaffent d’impatience pour aider

le trop fier Japon.

Dans le Paris-Genève on se demande

comment voudrait-on mourir si on était au Japon.

Par le feu ou par l’eau ?

Une majorité préférait finir écrasée sous sa maison.

La terre tremblait encore quand on a annoncé

au pauvre Japonais une possible catastrophe nucléaire.

Le voilà coincé entre ceux qui lui cachent la vérité

et les autres qui ne craignent pas de le désespérer.

J’ai vu, pour la plupart, ces journalistes

l’année dernière à Port-au-Prince.

Certains étaient aussi au Chili.

Est-ce un nouveau métier ?

Kadhafi est assez intelligent

pour reconnaître ce qu’il doit au Japon

tout étant trop rusé pour offrir

cette fois son aide.

Il faut savoir faire le mort.

La Libye et le pétrole ; le Japon et le nucléaire.

Le pétrole et le nucléaire alimentent

des débats passionnés dans les pays industrialisés.

On oublie au passage la Libye et le Japon.

Fierté haïtienne et calme japonais.

Mieux vaut la grâce de la fleur de cerisier

pour faire face aux pires catastrophes.

Au lieu de chercher à se rappeler

la date d’un séisme

ne serait-il pas plus sage de l’oublier

ou de la remplacer par le souvenir

d’un premier baiser ?

C’était Haïti. C’est le Japon.

Je suis cet écrivain japonais

présent lors du séisme de Port-au-Prince.

Je ne bouge plus de ma chambre.

Dernier livre paru : «Tout bouge autour de moi»

(Ed. Grasset, 2011).

Texte paru dans Libération le 17 mars 2011 et signalé par Monique L.

 

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