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22 octobre 2011

Tout, tout de suite de Morgan Sportès...

« Fou de littérature », selon Laurent Greilsamer (Le Monde), Morgan Sportès était déjà réputé du fait de sonsportes « faible pour les faits divers ». Déjà, à propos de L’Appât en 1990 –roman adapté au cinéma par Bertrand Tavernier (film primé d’un Ours d’Or à Berlin)- ce critique littéraire notait : « Il y revient avec une passion secrète, une curiosité vibrante ».

Ceci peut se dire avec évidence pour Tout, tout de suite, publié en juillet 2011, qui aborde le fait-divers de février 2006 qui avait occupé avec fracas les espaces médiatiques et politiques : l’enlèvement d’un jeune adulte juif en région parisienne afin d’obtenir une forte rançon, sa séquestration accompagnée de violences multiples pendant vingt-quatre jours et, finalement, sa mort dans des conditions scandaleuses, sans obtention de la rançon escomptée par le ravisseur.

Les médias avaient qualifié de « Gang des Barbares » les auteurs de cet acte criminel hors norme. Le procès s’est tenu en 2009.

Morgan Sportès recourt à la fiction littéraire afin de dépasser les émotions et les interprétations médiatiques ou politiques liées à ce fait divers qui avait été notamment interprété comme signe notable d’une résurgence du racisme antisémitique en France.

Qu’a-t-il entrepris dans ce roman « conte de faits » ?

Une déconstruction minutieuse, chronologique, documentée et argumentée, des notions utilisées par les médias, la police et les politiques pour expliquer cette spirale de violence conduite par un homme et une vingtaine de complices, tous de banlieue, « recrutés » selon des règles d’agrégation par relations personnelles des uns avec les autres. Il montre et démontre qu’il ne s’agissait nullement d’un gang structuré ; il met en question la version « racisme antisémite », mais aussi le concept de « barbare » utilisé pour rendre compte des faits dramatiques et crapuleux, totalement intolérables.

Dans une sorte d’avant-propos, Morgan Sportès nous avertit qu’il a « réélaboré ces faits à travers (son) imaginaire pour en nourrir une création littéraire, une fiction. Seul leur logique m’intéressait, leur signification implicite : ce qu’ils nous disent sur l’évolution de nos sociétés ». Il assure que son livre appartient bien au genre du roman et propose de l’appeler un « conte de faits ».

Le titre est emprunté à une chanson de BOUBA, dont il cite un extrait en exergue du deuxième chapitre (p.39).

Par une enquête serrée, cernant faits et acteurs à la minute près, il nous fait partager les motivations et les logiques personnelles de chacun des intervenants de ce drame, leurs  situations socio-familiales, leurs aspirations, leurs modes de vie nocturne au-delà du périphérique parisien et leurs incursions à Paris. Ce qui domine chez eux, c’est un désir absolu de « faire de l’argent » sans délai, sans trop mesurer les conséquences de leurs actes, sans prendre en compte de multiples incohérences qui émaillent leur entreprise criminelle. Leur « chef » a des capacités logistiques faibles, mais une forte capacité  d’emprise sur une série de gars et de filles tous englués dans divers problèmes personnels, qui finissent asservis à ses projets sans aucune distance critique, convaincus qu’il n’y aurait pas eu de mort.

Tout au long de ce « conte de faits », Morgan Sportès montre et démontre que la qualification de « Gang » est usurpée et inadéquate pour rendre compte de cette équipée sauvage. Sa thèse : cette « barbarie » n’était pas dirigée sur Elie (personnage du roman) en tant que Juif par antisémitisme, mais résultait du raisonnement fallacieux suivant nourri de préjugés tenaces : tout Juif est riche, s’il ne l’est pas personnellement, sa famille l’est, la communauté juive l’est… Donc, une rançon sera automatiquement versée par la famille, la communauté ou, si besoins est, sur intervention du rabbin. Organisons donc un enlèvement. Les choses s’enchaînent mais ne se déroulent pas du tout comme espéré par le « chef ». Des désaffections des « associés-complices » sont repérables à tel ou tel moment, notamment parce que la part de la rançon attendue ne venait pas et/ou parce qu’ils ne voulaient pas cautionner des violences pouvant aller jusque la mort de l’otage.

Après les arrestations en cascade, chacun des protagonistes dira ce qu’il cherchait en cette aventure, ses hésitations, parfois avec une incohérence déprimante (par exemple, le pourquoi de leur conversion à l’islam).

Le style de cet auteur tient effectivement d’ « une enquête ethnographique », tout anticipe visiblement une adaptation cinématographique : le scénario est prêt, toutes les indications sont données pour développer les séquences.

Demeure une question : les personnages du roman sont des personnes réelles de faits datant de seulement cinq années. Henry Bauchau considérait lui qu’il fallait au moins une vingtaine d’années pour que des personnes réelles deviennent des personnages de fiction (Cf. Lire sur les Remparts n°83, mars 2008).

Morgan Sportès a-t-il réussi sa gageure de créer un roman à partir d’un fait divers relativement récent et particulièrement choquant ?

Michel M.

Tout, tout de suite, Morgan Sportès, Fayard, 2011.  379p.

Crédit photo : Electre.

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