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8 juin 2012

Le héron de Guernica d'Antoine Choplin...

heronCe court roman apparaît dans la première sélection du Prix Louis Guilloux 2012 et il retiendra certainement l’attention pour l’originalité d’approche de la tragédie évoquée et pour sa qualité d’écriture.

Savoir ce qu’Antoine Choplin pense de sa propre écriture m’a paru particulièrement éclairant pour apprécier ce roman : « Je vois mon écriture comme une arme de fouille du monde sensible, curieuse des énigmes, des complexités, des étrangetés et des imaginaires…, tendue vers une observation appliquée des insignifiances (ou supposées telles), elle constitue peut-être une quête pour un regard singulier, distancié et lucide sur nos « paysages »… Avec le désir fervent de rendre un peu de l’épaisseur réelle des choses, avec la certitude pourtant de leur insaisissabilité. »

C’est que le personnage de Basilio, non par l’écriture mais par la peinture, lui aussi, fouille le monde sensible : « Là-bas, parmi l’entrelacs des pieds de roseaux, il y a cette oblique en mouvement lent… C’est bien lui. Le héron des autres fois… Comme chaque fois, il s’émerveille de la dignité de sa posture. C’est ce mot qui lui vient à Basilio. C’est d’abord ça qu’il voudrait rendre par la peinture. Cette sorte de dignité, qui tient aussi du vulnérable, du frêle, de la possibilité du chancelant… » Basilio a ce regard tendu, quasi obsessionnel, vers un être -qu’un observateur plus superficiel pourrait juger insignifiant ce 26 avril 1937 à Guernica-, un héron cendré ou la quête d’un mystère : « Basilio se dit qu’il conviendrait peut-être un jour ou l’autre de se résoudre à oublier le héron lui-même pour ne s’intéresser qu’à l’abîme qui s’ouvre à l’interstice de son regard. Plonger un peu là-dedans et seulement ça. » Le jeune peintre est ce regard à la fois innocent et conscient du caractère insaisissable du monde : «…cette feuille encore largement vierge, avec cet effet de plume au milieu, et tout juste quelques traits pour témoigner de la silhouette élancée du héron ; ça fait sourire Basilio ; pendant que tu y es, il se dit, tu n’as qu’à lui offrir une feuille de papier blanc. Le plus beau héron qu’on aura jamais peint. »

 Certains pragmatiques, comme le père Eusebio, pensent que rien n’est plus pertinent que les photos des bombardiers allemands lâchant leurs bombes incendiaires pour faire connaître au monde le martyre de Guernica ; mais, pourquoi l’image de cette bicyclette renversée sur la place déserte ne serait-elle pas capable de restituer tout ce que l’image ne dit pas : « Toutes ces choses qui flottent dans l’air et qui fabriquent notre peur de maintenant ; qu’on peut pas graver sur du papier mais qui nous empêchent de respirer par moments. Tu vois ce que je veux dire ? » On pense à Picasso s’exclamant : « Que croyez-vous que soit un artiste ? Un imbécile qui n’a que des yeux s’il est peintre ? »

En juin 1937, à Paris, dans le pavillon espagnol de l’exposition internationale des Arts et Techniques dans la vie moderne, deux peintres vont brièvement se rencontrer : un jeune basque  espagnol qui n’a jamais entendu parler de Picasso et qui ne veut pas se séparer de son carton à dessin où se cache le héron des marais de Guernica, et un célèbre peintre espagnol qui ne retournera jamais dans une Espagne franquiste et qui exprime dans un immense tableau sa totale indignation après le bombardement qui a fait 1654 morts dans la petite ville de Guernica, un jour de marché. Ce qu’a vu celui qui était dans la ville en flammes est là dans le tableau de celui qui n’y était pas : « Il y a le cheval à moitié calciné de la croupe à l’encolure. Il est encore secoué de soubresauts… Sa langue sort comme un dard de la gueule restée grande ouverte. » Un jeune homme reste deux heures immobile, en état de choc, devant Guernica, son carton à dessin oublié à ses pieds ; deux peintres contemplent l’œuvre, communiant un instant dans le silence.

Michèle M.  

Le héron de Guernica, Antoine Choplin, Le Rouergue 2011.158 p.

Crédit photo : Electre.

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