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10 avril 2013

Le peintre d'éventail de Hubert Haddad...

 

Le peintre d’éventail, Hubert Haddad (Zulma, 2013)

peintreeventail

Prix Louis Guilloux 2013 (Prix créé par le conseil général des Côtes d’Armor).

Et en correspondance :

 Les haïkus du peintre d’éventail, Hubert Haddad (Zulma 2013)

                                           Gros flocons de neige

                                           comme des lettres d’amour

                                           là-haut déchirées

Hubert Haddad, « juif tunisien de l’exil » ainsi qu’il se présente lui-même, aurait-il vécu au Japon ? Le lecteur de Peintre d’éventail pourrait croire qu’un long séjour ou des voyages fréquents au pays du Soleil-Levant lui ont donné cette surprenante intimité avec l’exquise délicatesse orientale ; mais non, aucun séjour au Japon ; « j’ai toujours été, dit cet « étonnant voyageur », fasciné à distance par le Japon, par l’insensé raffinement d’une civilisation qui a fondé sa réalité sur l’espèce de qui-vive de l’impermanence entre deux cyclones ravageurs et dans l’attente soutenue aussi, de l’espèce de sacralisation de la mémoire dans un environnement sans consistance, sur un sol instable, toujours en péril de disparition… »

« Sacralisation de la mémoire »…

Au narrateur Xu Hi-Han « ex gâte-sauce de la pension de dame Hison, devenu un brillant universitaire », il revient de faire vivre la mémoire de Matabei Reien qui fit du jeune homme - remarquable d’incompétence et de maladresse quand il avait quatorze ans mais tellement curieux d’apprendre - son disciple puis son dernier témoin.

« Matabei n’avait rien d’un homme ordinaire » ; ce peintre abstrait et designer assez connu à Kobe était venu un jour « dans ce recoin perdu d’Atôra »  prendre pension chez dame Hison, pour se cacher, trouver la douceur de l’oubli si ce n’est la sérénité, détacher son esprit de tout lien, pour survivre tout simplement à son sentiment de culpabilité après « l’accident au sortir du tunnel », « un lieu pour disparaître aux autres et à soi ». Mais « l’histoire vraie de Matabei Reien », celle qui mérite d’être transmise, est  « celle qui concerne les amateurs de haïkus et de jardins ». C’est à lui qu’il appartient de faire vivre la mémoire de maître Osaki Tanako, jardinier de dame Hison et peintre haïkiste d’éventail. Le vieil Osaki enseigne d’abord à Matabei, disciple qui succèdera au maître, l’équilibre parfait d’un jardin où le temps semble suspendu dans un prodige d’harmonie ; parler du jardin modelé par Osaki, c’est parler « d’un fidèle et beau visage tourné vers le ciel et, de tous côtés, éveillé d’un sourire au moindre rayon de soleil, riant du murmure varié des eaux, soupirant et dormant dans les frondaisons. » Il l’initie également à « l’énigme d’un éventail » :« Peindre un éventail, n’était-ce pas ramener sagement l’art à du vent ? » L’art témoigne « de la permanence d’une fragilité miraculeuse, alors que les phénomènes passent comme l’écume sur une mer agitée. » Que ce soit en tant que peintre d’éventail ou en tant que jardinier, Osaki affirmait que pour créer « l’harmonieux vertige, il fallait inverser sans cesse l’impression de proche et de lointain à partir du plan intermédiaire, de sorte à désorienter le regard :

                                          Pourquoi tout ranger ?

                                          L’arbre entre l’herbe et l’étoile -

                                          Harmonieux vertige

L’art de la dissimulation et de la révélation par étape au gré de la promenade était poussé à son comble, cela à travers toutes les directions du jardin, lequel semblait bel et bien y gagner les proportions d’un labyrinthe ; les lanternes de pierre, le chemin de rosée, tout le réseau joyeux de rigoles au départ d’une cascade, les passerelles d’une ou deux enjambées […] Ce mélange de rusticité et de raffinement atteignait un équilibre surnaturel… »

L’harmonie fut pourtant brisée. La première rupture fut conséquence de l’irruption de la passion. Ils sont deux à observer dans le jardin les cheveux dénoués et les hanches serrées dans ses jupes longues d’Enjo, la nouvelle pensionnaire de dame Hison ; Hi-Han, à dix-huit ans, serait volontiers parti au bout du monde avec la jeune fille, de celles qui « cachent plus de promesses d’énigmes que la nature entière. » Mais ce n’est pas au jeune homme que se donne Enjo mais à Matabei qui voit alors « le dur édifice de sa sagesse s’écrouler comme ces monuments de brouillard au vent d’automne ».

Toute entreprise humaine : peindre, jardiner, écrire, aimer… n’est-elle pas vouée à « l’impermanence » ? C’est la réalité tragique d’un 11 mars qui causa la seconde et radicale rupture : au rêve d’équilibre qui s’était matérialisé dans le jardin de dame Hison et sur les ailes des éventails de maître Osaki TanaKo se substitue le chaos. Le monstrueux poisson des légendes s’agitent sous les pas de Matabei, les montagnes sont ébranlées, tout n’est plus que confusion, désordre meurtrier, spasmes et contractions.

Désespoir.

Mais pour celui qui voudra un jour déployer ses souvenirs comme les éventails d’Osaki, il y aura d’autres admirables nuits de printemps :

                                      Trempée de rosée

                                      dans les parfums de cent fleurs,-

                                      tu t’éveilleras

Michèle M.

Le peintre d'éventail, Hubert Haddad, Zulma, 2013. 187 p. et Les haïkus du peintre d’éventail, Hubert Haddad, Zulma, 2013. 144 p.

Crédit photo : Electre.

 

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